Après avoir quitté le parc Gamenson à Périgueux en 2011, MNOP a brillamment réussi sa mue en organisant chaque année un concert-événement en octobre au Palio de Boulazac et une double tournée estivale dans les villages du Périgord vert. Cette année encore, c'était l'occasion de découvrir deux artistes dont la notoriété est inversement proportionnelle à leur talent. Si le nom de John Fohl peut inspirer quelque chose aux fans de Dr. John, qui sait qu'Erica Falls est devenue l'égérie de Galactic ? Rendons donc grâce au flair infaillible de Stéphane Colin, à son insatiable curiosité et à son talent aussi pour réunir des musiciens faits pour s'entendre. À ces artistes venus de Louisiane, il sait associer des sidemen au diapason dont on oublie instantanément l'origine.
Stéphane Colin, M.C. et G.O. de MNOP
En fin de tournée, à Sorges, la scène plantée devant le château offrait une vue imprenable sur le village. Le vendredi soir, en prime au concert de John Fohl et Benoit Blue Boy, s'ajoutait un "Harmonica Rumble" avec Steve Verbeke et Youssef Remadna associés au Godfather du blues à la française.
Le Godfather Benoit Blue Boy avec Stan Noubard Pacha, Marty Vickers et Mig Toquereau
Benoit ouvrit le bal avec un instrumental goûteux, avant de céder la place à son meilleur disciple, Steve Verbeke, tout en gouaille complice, proposant compos et reprise swamp blues. Youssef prit le relais, lubrifiant son blues d'une belle dose de swing. Côté accompagnement, ça carburait au super avec Marty Vickers à la batterie, Mig Toquereau à la basse et Stan Noubard Pacha à la guitare. Et les trois harmonicistes se retrouvèrent pour un final bien low down, comme Benoit les affectionne.
Harmonica Rumble à Sorges : Steve Verbeke, Stan, Benoit et Youssef Remadna
D'abord seul, à la guitare acoustique, John Fohl ouvre le second set en mode songster, très crédible, avant d'être rejoint par la rythmique, Mig et Marty, et Benoit. Inutile de chercher un leader, il n'y en a pas. Ou plutôt deux. Pas d'égo entre John Fohl et Benoit Blue Boy, juste deux musiciens qui s'apprécient et parlent le même langage. C'est un vrai plaisir d'entendre les standards de Benoit (Le blues assis au bout d'mon lit, J'marche doucement…) prendre de nouvelles couleurs grâce à la guitare de John. Ou d'entendre l'harmo de Benoit s'immiscer dans le blues funky de John. On en vient presque à remercier Dr. John d'avoir licencié son groupe Lower 911, permettant à la carrière solo de John Fohl de prendre son envol.
John Fohl avec Marty, Benoit et Mig
Même lieu, même heure, mais le lendemain. C'est aujourd'hui Nico Duportal et ses Rhythm Dudesqui ont été ajoutés au plateau d'Erica Falls. L'accent est bien mis sur le jumpin' & rockin' blues, avec Johnny Otis ou Guitar Watson en exergue, mais sans oublier les musiques de La Nouvelle-Orléans, façon Larry Williams ou Tabby Thomas. Nico Duportal est absolument impérial à la guitare, empilant chorus sur chorus pour mieux faire chauffer la machine. Et elle chauffe !
Nico Duportal & his Rhythm Dudes : Arnaud Deprez (ténor), Alex Bertein (baryton)
Ses deux sax (Arnaud Duprez au ténor et Alex Bertein au baryton) lui offrent un contrepoint confortable, le pianiste Olivier Cantrelle brode joliment et la batterie de Pascal Mucci balise le tout. Mais la surprise du jour est de trouver Abdel "B.Bop" Bouyousfi remplaçant Thibaut Chopin à la contrebasse, clin d'œil au Rosebud Blue Sauce d'antan. En invités, l'harmonica de Benoit Blue Boy est toujours brillant et la guitare de Stan Noubard Pacha galvanise tout le monde sur The crawl, repris à Guitar Junior/Lonnie Brooks. À ce feu d'artifice musical s'en ajoute un autre, pyrotechnique, du plus bel effet sur le village de Sorges (capitale de la truffe !).
Nico Duportal retrouve Abdel B.Bop Bouyousfi (contrebasse). Olivier Cantrelle au piano.
En début de concert, Erica Falls joue la "coolitude", façon smooth jazz mâtiné de neo soul. On apprécie la technique et les mélismes issus du gospel, mais on ne s'enflamme pas pour autant. Le déclic se produit avec What's goin' on dont elle donne une lecture passionnée. L'attention ne se relâchera plus au cours de It don't mean a thing, funkisé, de House of the rising sun, bluesifié, ou du bouquet final sur Old record, double hommage à Allen Toussaint et Irma Thomas.
Erica Falls possède une voix superbe, une implication évidente et a trouvé en Périgord un groupe à sa mesure avec les Roomates. S'ils sont tous d'excellents solistes –ils le prouvèrent –, ses membres sont tout aussi collectivement enthousiasmants. La référence aux Crusaders soufflée par un ami me paraît justifiée. Ils ont pour nom Pierre Cherbero aux claviers, Sylvain Tejerizo au sax (ténor et soprano), Anthony Lavaud à la guitare, Sébastien Charrieras à la basse et Olivier Léani aux drums.
Erica Falls et deux Roomates : Anthony Lavaud (guitare) et Pierre Cherbero (claviers)
Le dimanche, c'est MNO-Pique-nique sur la place de Champcevinel où le clocher de l'église étend son ombre protectrice sur la scène. John Fohl et Benoit Blue Boy so,nt encore de la partie avec Mig Toquereau et Marty Vickers, ce dont personne ne se plaint. Stan Noubard Pacha et T. Bo Ripault qui rodent près du bar sont appelés en renfort et Erica Falls ne se fait pas prier pour prêter sa voix à Trouble in mind.
John Fohl, Stan, Marty, Benoit et Mig à Champcevinel
John et Mary rejoints par T.Bo Ripault et Erica Falls
John Fohl
Nous sommes ensuite conviés à une première mondiale, celle de Royo & Friends ! Depuis sa participation à Mudzilla puis au groupe de Nico Wayne Toussaint, on sait que Florian Royo est l'un des guitaristes les plus intéressants de la scène blues. Il était donc logique qu'il ait un jour envie de monter son propre projet. Ce concert inaugural laisse bien présager de l'avenir : le groupe est soudé et ses membres complémentaires, composant une belle palette, du jazz groovy au blues profond avec des détours par les funk new orleans ou la soul lascive.
Florian Royo avec Sylvain Tejerizo
Les Friends : Sylvain Tejerizo, Guillaume Destarac et Thierry Ollé
La guitare de Florian souvent introspective sait aussi faire danser et laisse de l'espace à des compères bien choisis. À la batterie, c'est Guillaume Destarac, aussi remarqué auprès de NWT. Au ténor, Sylvain Tejerizo, apprécié la veille au sein des Roomates, se distingue encore par sa pugnacité et son swing (comme il fait au sein des B.Boppers). Aux claviers, Thierry Ollé ne s'éloigne pas tant que ça de l'univers jazz (il joua au sein du Tuxedo Big Band mais aussi du TriOrg) et donne le ton avec The cat en ouverture.
Nathalie Naty (à droite)
et IIona Dessalles
Florian, Guillaume et Nathalie
Enfin, Nathalie Naty et Ilona Dessalles ajoutent leur voix et leur grâce à une formation nouvelle mais déjà aguerrie par l'expérience et que rien n'arrête – pas même les coutures défaillantes…
Texte et photos Jacques Périn
